Je suis arrivée en Floride samedi après-midi, mais non sans difficultés. Ce fut en fait mon pire voyage, un voyage d'enfer qui a failli emporter Jolie, Easter et détruire ma volonté et mon désir de persévérer. Je m'en tire indemne, Jolie récupère et Easter s'en est bien sortie - je reprends lentement des forces, mais non sans crainte pour le retour.
Le départ mardi martin 3 février s'est bien déroulé. Il faisait très froid, en-dessous de -20C, mais le camion a démarré, j'ai réussi à attacher la nouvelle remorque et les chevaux y sont montés avec une certaine hésitation, mais sans difficulté majeure. J'avais passé la journée précédente à furieusement charger bagages et foin dans la remorque, à essayer toutes les clés pour ouvrir et fermer les différentes ouvertures, et à faire un essai routier pour m'assurer que je pouvais descendre la côte menant au rang, faire le coin pour sortir de l'entrée et sortir de Pont-Rouge sans rien démolir. Avec le camion, ce train routier mesure 54 pieds de long; chargé, nous pesons 20000 livres; il a fallu apprendre à maneuvrer les tournants, les arrêts, le reculer. Comme elle ne m'a été livrée que deux jours avant le départ, disons que j'ai appris sur le tas.
La première journée de trajet s'est bien déroulé. J'ai passé le poste frontière vers 12:30, sans trop de difficultés. J'apprenais à conduire, mais il faisait beau et je roulais sur pavé sec. Malheureusement, toutes les bouches de ventilation et les fenêtres de la remorque étaient complètement gelées, et mes chevaux ont manqué d'air. Je voyais la condensation dans la remorque et leur inconfort, mais je ne pouvais rien y faire.
Nous avons passé la première nuit dans l'état du New York. Il faisait encore -20C. Le lendemain matin, les trois juments ont refusé de monter - la catastrophe car il s'agissait de ma journée la plus longue. Elles n'avaient pas apprécié leur première expérience dans le nouvel autobus, et voilà donc qu'après une si longue attente et autant d'argent, elles m'ont clairement indiqué qu'elles détestaient cette remorque. Le manque d'air y était certainement pour quelque chose, mais comment leur expliquer que j'avais entre temps réussi à ouvrir les bouches de ventilation et que ce serait mieux... Easter étant celle des trois qui charge le plus facilement, j'ai donc décidé de la mettre en premier. Une fois installée dans sa section, elle a eu une attaque de panique, et en tirant pour se dégager, a glissé des postérieurs (le caoutchouc durci par le froid n'offrant plus de traction), a passé une patte à travers la fenêtre et s'est retrouvée assise, les deux pieds avant coincés dans la mangeoire sous la fenêtre. Le désastre, impossible de la libérer. Si j'entrais, elle risquais de me tuer en se débattant, et l'accès par les fenêtres était encore gelé. Elle a fini par se libérer toute seule, mais est sortie en quatrième vitesse, terrifiée. Heureusement, à part quelques égratignures, elle ne s'est pas blessée sérieusement, mais sa confiance a été sérieusement entamée. J'ai donc passé quelques heures à essayer de remettre mes trois chevaux en confiance, mais gelée et épuisée, ayant subi des engelures aux 10 doigts, j'ai dû abandonner et j'ai décidé de rester au même endroit pour la nuit. J'étais découragée, vidée et mes doigts me faisaient terriblement souffrir.
Le lendemain, j'ai passé la journée complète, toujours à -20C, à habituer mes trois chevaux à cette nouvelle remorque, chose que j'aurais dû faire bien avant le départ, mais étape que j'avais dû sauter à cause du retard de livraison. Le lendemain matin, j'ai pu repartir. Je dois à ma relation avec Easter le fait qu'elle ait accepté de retourner dans la remorque, c'est extraordinaire après ce qui lui était arrivé.
Entre New York et la Virginie, j'ai fait de nombreux arrêts pour vérifier l'état des chevaux. Je suis donc arrivée en Virginie tard en soirée. Là-bas, j'ai été très bien reçue par une dame qui possède une ferme équestre absolument magnifique. Je n'avais jamais rien vu de pareil. Mon camion et la remorque auraient pu entrer dans l'allée de l'écurie. La chambre au-dessus était décorée avec un goût impeccable et un luxe hors du commun. Le frigo était rempli, il y avait la télévision, des lits ultra-confortables, un grand salon, le tout meublé avec du haut de gamme. J'ai pu manger et dormir.
Le lendemain matin, je suis partie un peu tardivement car j'ai encore eu de la difficulté à charger les chevaux. Jolie avait de plus en plus de difficulté à monter et à descendre, la marche est haute et avec le froid, elle dérapait. En pensant à elle, et au fait que je suis une journée et demi en retard sur mon horaire, j'ai décidé de sauter l'arrêt en Caroline et de continuer tout droit jusqu'en Floride. Il faisait tellement froid que les sessions des chargements m'épuisaient, et avec mes engelures, je n'y arrivais plus. J'ai donc roulé toute la journée et toute la nuit, 26 heures en tout, avec deux arrêts pour des siestes de 1-2 heures dans une remorque gelée car je n'arrivais pas à faire fonctionner le chauffage au propane. Heureusement que j'avais apporté un sac de couchage d'hiver et des bottillons en duvet, retrouvés dans mes affaires de camping.
J'arrêtais régulièrement pour faire boire les chevaux, et pour évaluer Jolie, qui faiblissait à vue d'oeil. Le voyage a été très dur pour elle, plus dur que prévu. Je la voyais décliner et je me disais qu'il fallait absolument arriver à Ocala le plus vite possible. À 7:28 samedi matin, je traversais la ligne séparant la Géorgie et la Floride, après 3 jours épuisants mentalement, émotionnellement et physiquement.
En arrivant chez Peggy et Wendy, pressée de décharger les chevaux assoiffés et d'arrêter, j'ai mal négocié le virage serré dans une entrée très étroite, et j'ai coincé la remorque entre une grosse branche d'arbre qui avance au-dessus de l'asphalte et la barrière automatique qui s'est refermée sur l'autre côté de la remorque. Pour en sortir, pas le choix, j'ai dû sacrifier deux fenêtres et le côté de la remorque a été endommagé. La barrière a arraché deux moulures de fixation sur le côté opposé. Ça faisait moins d'une semaine que j'en étais propriétaire. Quel désastre.
Il a ensuite fallu installer les chevaux, prendre soin de ma pauvre Jolie qui était très mal en point, et installer la foutue remorque sur le terrain. Manuel en main, j'essaiyais de trouver comment brancher l'électricité, partir la pompe à eau, trouver les réservoirs, démarrer le chauffe-eau. Je n'arrivais pas à faire fonctionner l'eau chaude, mais j'ai réussi à partir le chauffage (il fait 7C la nuit) et à brancher l'eau froide et l'électricité. Je pouvais donc faire du café, allumer les lumières, écouter la radio, chauffer, mais pas de douche. Je mettrai bientôt des photos de la remorque et de l'intérieur, qui est quand même très bien fini, malgré la liste de 12 articles qui doivent déjà être réparés. Ce sera somme tout bien confortable, une fois que tout sera en ordre. Il y a beaucoup de rangement pratique, un grand lit avec un vrai matelas, chauffage, air climatisé, micro-ondes, grande salle de bains, deux ronds de cuisine au gaz, un sofa, une penderie et une radio/CD avec hauts-parleurs intérieurs et extérieurs. Un auvent, des moustiquaires à toutes les fenêtres et dans la porte, un bon frigo et un congélateur. Ils y ont même mis une horloge, mais pas les batteries pour la faire fonctionner.
Le lendemain matin, je devais amener Menina au ranch Parelli pour la première journée de cours. Je ne pensais pas pouvoir sortir ma remorque et Peggy m'a offert sa remorque. Sauf que sa remorque est minuscule, et la pauvre Menina, déjà passablement traumatisée par son voyage, ne pensait vraiement pas qu'elle pouvait y entrer au complet. C'est en effet très juste. J'ai dû abandonner, elle en a marre et c'est vraiment trop petit. Deux jours plus tard, j'ai finalement réussi à sortir ma remorque en attachant les fenêtres endommagées et en bloquant la barrière, et à amener Menina au ranch.
Ce n'est que hier en fin de journée que l'adrénaline qui m'habitait depuis plus d'une semaine s'est dissipée et je me suis sentie tomber en chute libre. J'ai encore du mal à taper sur le clavier avec mes doigts craquelés, enflés et douloureux. J'ai perdu du poids, j'ai la tête qui déborde en pensant à tout ce que j'aurai à faire pour réparer la remorque, rebâtir la confiance de mes chevaux et me remettre de tout ça.
Fuite d'eau dans la salle de bain, drain bouché, la liste continue. J'ai finalement réussi à trouver la valve du chauffe-eau. Je ne sais pas encore comment vidanger les réservoirs d'eaux usées, je devrais apprendre en fin de semaine.
Et je me demande sérieusement si je peux envisager de ramener Jolie au Québec. Décision déchirante.
Il fait beau, il fait chaud, nous avons commencé le cours avec une session avec Pat Parelli. Je devrais être aux anges, mais je suis encore hantée par les évènements de la dernière semaine et j'ai franchement du mal à me concentrer et à plonger. Les journées sont longues et chargées, et pas question de repos en fin de semaine, je dois aller porter la remorque pour les réparations. J'ai aussi une estimation à faire sur le camion, j'ai reculé sur un arbre en me stationnant au ranch, cause fatigue extrême.
Comme chante Shyana Twain, It can only go up from here...
Geneviève
Floride, par une belle nuit d'été